Le modélisme d'arsenal est une activité de loisir. Il s'agit de construire des modèles réduits non-navigants de navires anciens en bois, principalement du 17ème et du 18ème siècle, sur la base de plans et de traités de construction navale d'époque.

C'est une discipline exigeante qui remonte en France au Grand Siècle: sous l'impulsion de Colberten 1678, Louis XIV ordonna de créer les modèles "en petit" des vaisseaux de guerre des cinq rangs.
Ils furent donc fabriqués dans chacun des arsenaux royaux, d'où leur nom de "modèle d'arsenal" ou "modèle d'amirauté".
Ces unités servaient de référence aux nouvelles constructions, à l'instruction du personnel de l'arsenal et à la formation des élèves officiers.

Modèle d'amirauté construit vers 1710 au 1/12ème

Pour commencer il faut chercher des sources d'information fiables dans les archives maritimes régionales, nationales ou internationales. Ayant accompli cette démarche, certains auteurs publient des monographies très complètes de navires d'autrefois.

Les recherches, le choix du bateau, l'étude des plans, la réflexion et la préparation prennent initialement beaucoup de temps. Après quoi, au plan manuel, le modéliste d'arsenal devra devenir tour à tour menuisier, charpentier, ébéniste, peintre, forgeron, soudeur, sculpteur, cordier et voilier.
De plus, la construction de certains éléments nécessite de concevoir des processus de fabrication souvent inédits, et parfois de créer des outils introuvables dans le commerce.
L'aspect pluridisciplinaire du modélisme d'arsenal lui confère tout son attrait.

Principes généraux


Le modèle doit-être la réplique exacte du navire historique, sans aucune simplification.
Les moindres détails des éléments constituants (coque, ponts, aménagements intérieurs, sculptures, artillerie, accastillage, mâture, gréement, voilure) sont reproduits fidèlement quelle que soit leur complexité.
Les assemblages de charpente, et autres complications dans tous les domaines, doivent être conformes et visibles : écarts plats, queues d'aronde, tenons et mortaises, cloutage, chevillage, mais aussi calfatage, fourrage des cordages, matelotage etc.

Détail d'une guibre en cours de montage

L'esthétique est privilégiée en utilisant des matières nobles, des bois choisis, des fibres naturelles pour le gréement et les voiles, ainsi que des pièces métalliques noircies.
Les techniques de trompe-l’œil, de cache-misère ou d'à-peu-près ne sont pas admises.
Les modèles visibles dans les musées de la Marine sont les exemples authentiques qui servent de référence à la réalisation des œuvres de qualité.

N'étant jamais satisfaisantes sur le plan dimensionnel ou historique, les pièces du commerce sont invariablement exclues.
Les matériaux modernes sont inadéquats parce qu'ils sont anachroniques: pas de matières synthétiques, pas de contreplaqué ni de matériaux composites.

En appliquant ces règles la construction d'un vaisseau de ligne à trois ponts et 120 canons demande plusieurs années. Mais on peut choisir un bateau moins imposant ou une tranche de navire qui demandent autant d'habileté et de rigueur mais beaucoup moins de temps.

Tranche arrière de l'Aurore - Hubert Mallet

L'intérêt d'une tranche est pédagogique: elle montre à la fois la structure de la coque et ses dispositions intérieures dont les détails sont invisibles quand la coque est fermée.

Tranche centrale de La Belle Poule - Michel Perhérin

Les tranches sont majoritairement transversales. La coupe longitudinale, plus difficile à construire, est beaucoup plus rare bien qu'elle soit très attractive.

Le Massiac, demi-vaisseau de la Compagnie des Indes

Tranches horizontales du Comte d'Artois. Une rareté !

Quelques-uns des modèles, par leur conformité historique, par l'excellence de leur réalisation et la beauté du résultat obtenu, sont souvent comparés aux chefs-d'œuvre
des Compagnons du Devoir. C'est une belle reconnaissance pour cette activité qui, selon certains, pourrait être assimilée à un art.

Vaisseau de 74 canons - Jacques Fichant

Conventions


Quel que soit l'élément considéré il ne faut jamais négliger aucun détail, tout en admettant qu'il puisse être simplement évoqué. Il s'agit donc de choisir une échelle appropriée permettant sa réalisation et son examen.
Les échelles traditionnelles sont le 1/48ème
 et le 1/36ème, parfois le 1/24ème pour les plus petites unités. Ces valeurs proviennent du système duodécimal (à base 12) que nous utilisions en France avant l'adoption du système métrique en 1795.
La miniaturisation à outrance considérée comme une fin en soi est à proscrire car elle ne permet pas de reproduire tous les détails.


D'autres conventions plus spécifiques sont couramment admises :
  • Conventions concernant les peintures.
    Couleurs natives ou patinées ? Opaques ou transparentes ?
    Il appartient au modéliste de rechercher une harmonie attrayante dans le respect des teintes d'origine (voir la page couleurs dans la marine)
    Quoi qu'il en soit, les peintures ne doivent pas être vives ni brillantes et elles sont d'autant plus pastellisées que l'échelle est réduite.

    Le Dauphin Royal - 1750. Musée de Rochefort

    Cependant il est fréquent de laisser le bois naturel, bien que cette manière de faire ne soit pas conforme à la réalité, pour dévoiler toute la finesse des assemblages sans l'empâtement de la peinture. Dans ce cas, l'opposition de teintes des différentes essences de bois se substitue et s'apparente au contraste des peintures originelles.
     
  • Convention de présentation à vocation didactique: à bâbord, il est d'usage de ne pas poser le bordage ni le pont, ou partiellement, pour montrer la membrure et les baux avec tous leurs détails de construction.
     
    Le Requin bâbord/tribord - Bernard Frölich

    Des ouvertures sont même parfois pratiquées dans la charpente pour faire apparaître les aménagements internes et le contenu des cales.

Le Bonhomme Richard - Arthur Molle

  • Des conventions s'appliquent aussi à l'artillerie, généralement en bronze au 17ème siècle et en fer au 18ème.
    Le recours aux patines donnant l'apparence du bronze oxydé ou du fer peint de noir est de rigueur. Ceci vaut pour les innombrables éléments métalliques qui parsèment le vaisseau afin d'éviter un aspect trop clinquant.
    Par ailleurs, les canons doivent être arrimés de façon réglementaire: amarrage à garant simple, amarrage à garant doublé, ou amarrage à la serre.

    Amarrage à garant simple

  • Conventions relatives à la voilure.
    Modèle sous voiles, ou à sec de toile ?
    On peut renoncer à faire la voilure, par exemple à cause de la trame des tissus du commerce souvent trop grossière pour l'échelle considérée.
    Certains modèles ne comportent donc que le gréement.

    Le Fleuron - Eric L'Emaillet

    Lorsque les voiles sont posées il faut choisir de les replier ou de les déployer.
    Les deux manières peuvent être combinées: voiles basses carguées ou ferlées pour ne pas masquer les détails du pont, et les autres déployées pour ajouter un centre d'intérêt supplémentaire.

    Vaisseau de 74 canons - Jacques Fichant

    Notre modèle étant statique, donc à quai, carguer toutes les voiles est aussi une option convenable bien que les détails de leur composition et de leur assemblage ne soient plus visibles
    .

    Panteleymon Victoria - Aleksey Baranov

    D'autres sont présentés sans mâture, coque terminée ou en cours d'édification. Néanmoins, les pieds de mâts tronqués sont installés pour évoquer la mâture.

    Frégate La Renommée - Marc Auboyneau

    Le modèle peut aussi être présenté inachevé, en cours de construction sur une reproduction de son chantier d'arsenal avec sa rampe de mise à l'eau.
    Ce diorama mérite donc doublement son nom de "modèle d'arsenal".
    La coque, largement ouverte à bâbord, permet l'examen détaillé de toute la charpente et de la structure interne.

    Vaisseau de 74 canons - Olivier Bello


Matériaux utilisés


Le bois est la matière de base; il doit être résistant et stable dans le temps.
Compte-tenu de l'échelle, ses fibres doivent être suffisamment fines pour présenter l'apparence de la réalité en réduction.
Il faut éviter les bois à fibres longues, les bois trop légers ou trop tachetés.

Les bois fruitiers, qui ont une pousse lente et donc des fibres courtes, sont très appréciés avec une préférence marquée pour le poirier qui cumule toutes les qualités requises.
Le buis, dont la texture est homogène et la couleur proche du jaune de Naples, est souvent choisi pour la fabrication des pièces sculptées et des profilés moulurés.
L'ébène est parfois employé malgré la difficulté de le travailler. Sa teinte met en valeur certaines pièces classiquement noires ou sombres sans recourir à la peinture.
Mais selon la disponibilité, l'usage ou l'esthétique recherchée, d'autres essences sont également utilisables (voir la page les essences de bois)

Les pièces métalliques sont habituellement en laiton, métal ductile et facile à travailler. Elles sont brasées à l'argent et noircies avec un produit chimique oxydant à base de dioxyde de sélénium et de sulfate de cuivre.
Le cuivre rouge est utilisé, s'il y a lieu, pour le doublage de coque et les chaudières de cuisine. Le plomb ou l'étain peuvent aussi être employés, par exemple pour le garnissage des écubiers et des dalots.
Il faut éviter le fer et l'acier dont l'oxydation peut dégrader sévèrement l'aspect du modèle au fil des années.

Les cordages de bon aspect et aux justes dimensions n'existent pas dans le commerce. Ils sont commis par les modélistes à partir de fil de coton ou de lin.
Les voiles et les pavillons sont un souci majeur tant il est difficile de se procurer une toile convenable. Il faut trouver un tissu de coton ou de soie, le plus mince possible avec une trame la plus serrée possible, et parfois le teindre pour obtenir une apparence correcte.

Outillage


Les modélistes de Colbert n'avaient pas d'outils sophistiqués mais des lames d'acier affûtées sur une pierre et de la patience; chacun peut admirer la qualité de leurs travaux dans les musées. Mais de nos jours, en plus de l'outillage manuel de base du modéliste, une petite perceuse électrique avec son assortiment de forets et de fraises est un complément indispensable.

Outillage de base

Le bois, s'il est approvisionné sous forme de baguettes ou de planchettes rabotées aux différentes épaisseurs nécessaires, représente une dépense importante.
Si l'on veut réduire la facture il faut investir dans une scie circulaire et une raboteuse, afin de débiter soi-même des planches de bois brut aux dimensions souhaitées.
Pour faciliter les usinages délicats certains modélistes s'équipent progressivement d'autres machines: scie à chantourner, fraiseuse de table, tour à métaux, ponceuse à bande et lapidaire, touret de meulage ou d'affûtage...

Ordonnancement des travaux


La construction s'effectue en plusieurs étapes communes à tous les modèles.
La première consiste à acquérir une monographie de qualité, ou bien la créer à partir d'informations recueillies dans les musées et les archives maritimes. 

Une fois le stock de bois constitué, il faut d'abord construire un chantier, berceau qui va permettre de monter la charpente en immobilisant les couples constituant la membrure.


La fabrication de la coque peut alors commencer: quille, membrure, vaigrage et bordage.
Puis les infrastructures (planchers, cales, cloisons...) et les superstructures (ponts, dunette, gaillards...) sont construites avec leurs divers équipements. Sans oublier les innombrables petites pièces composant l'artillerie, l'accastillage, les embarcations etc.


Embarcations de la Belle Poule - Bernard Frölich

Vient ensuite la création artistique avec la sculpture des nombreux ornements du navire, notamment les somptueuses décorations de proue et de poupe. Ce travail délicat demande une bonne maîtrise des techniques de sculpture sur bois et une main sûre.

Sculptures de proue du Fleuron - Jacques Maillière

Poupe du Soleil Royal - René Vanhouche

Enfin mise en place de la mâture, du gréement et des voiles s'il y a lieu.
Au préalable, il aura fallu commettre des cordages de tous diamètres et fabriquer le pouliage (ensemble des nombreuses poulies et autres équipements de conduite des man
œuvres) nécessaire à leur mise en action.


La dernière étape consiste à construire un socle de support et de présentation du modèle.
L'ensemble sera exposé dans une vitrine de protection sur mesure pour laquelle deux matériaux sont envisageables: verre ou plexiglas.

Corvette La Créole - Bruno Rimlinger

Sources: Arthur Molle, Amarsenal ...